Edito Février 2003

Je suis pour la laïcité : je suis contre une nouvelle loi !

  Je suis à ce jour l’un des rares au sein de mon organisation syndicale à prendre une position aussi ouverte et déterminée contre la nouvelle loi. Tout au long de ma carrière et surtout pendant la période de mon activité dans l’enseignement secondaire, j’ai eu le souci de comprendre le comportement des enfants issus de l’immigration pour dépasser les moments de trouble en évitant de choisir les solutions de facilités, dérobades face à la difficulté et  lâchetés contraires à notre devoir de pédagogue.

  Or tout l’argumentaire que j’ai pu lire ou entendre jusqu’à ce  jour concernant l’affaire du voile ne constitue pas autre chose qu’un indécent florilège, qui mêle la haine arabophobe et islamophobe à des revendications fort légitimes, telles le droit à l’épanouissement et à la liberté de chaque femme, et aux peurs. On y trouve certes l’expression des craintes de celles qui tout au long de ces cinquante dernières années ont lutté pour accéder à l’égalité et à l’émancipation. Mais on n’ y rencontre le plus souvent que l’émanation nauséabonde des phobies, qu’inspirent encore les protestations d’une jeunesse démunie, solidaire d’un peuple en lutte pour accéder à son indépendance, et aussi l’angoisse de nos hommes politiques, confrontés au réveil d’une population  laborieuse et négligée, qui se sert en conséquence de plus en plus, comme les autres, de sa religion, moyen devenu quasiment institutionnel pour défendre ses intérêts.

   Tout me laisse croire que par le biais d’une loi sur « la laïcité à l’école », nous essayons de régler des comptes,  de la façon la plus antilaïque qui soit, avec une communauté, sachant que cette loi, et de l’avis même de ceux qui veulent l’imposer, ne réglera pas le problème du voile en milieu scolaire. La solution proposée ne répond pas à la question posée  au départ.

   Le mot « enseignant » à ma connaissance  est corollaire de pédagogue : il m’est donc difficile d’accepter qu’on puisse régler des problèmes au sein de l’école par une autre méthode que la pédagogie. Tout échec dans le cadre d’une méthode ne doit pas être synonyme d’exclusion. D’autres méthodes ont apporté des solutions satisfaisantes sans heurt,  sans tambour ni trompette ! Mais la réponse à tout ne se trouve pas dans chaque établissement scolaire, pas plus que dans chaque entreprise, n’en déplaise au M.E.D.E.F. !

   Oui, nous sommes confrontés au problème de la violence dans nos établissements ; mais pitié, ne tombons pas dans le misérabilisme intellectuel ! Qui est responsable des affectations massives d’élèves issus de  milieux réputés difficiles dans les mêmes lieux scolaires, à « caractère propre » ? De la fuite des autres vers le privé, à 95% confessionnel ? Qui a créé les bassins d’affectations ? Où sont passés les philosophes, les intellectuels, les sociologues, les humanistes et les défenseurs des droits de l’enfant, de l’homme et du citoyen ? Que disent-t-ils de la création de ces ghettos « éducatifs » ? Cherchons les responsabilités là où le pouvoir de l’argent a pu tracer de telles frontières au sein même de la nation : au niveau décisionnel ! N’accusons pas l’une des communautés délaissées dans le pillage de la caisse commune, qui a été légalisé dans le meilleur esprit régionaliste et européiste, au moment où les lâchetés successives face aux pressions des groupements d’intérêts privés nous ont, tous, placés dans la plus déplorable insécurité !

   Des femmes connues, dont personne ne nie la compétence et le rôle qu’elles ont pu jouer dans l’émancipation de la femme et la défense de l’égalité entre citoyennes et citoyens, des célébrités « intellectuelles » et de « salon » donc, qui naguère citaient la douceur du pouvoir musulman d’Espagne au XIIIme siècle, comme l’exemple par excellence de la tolérance en matière de croyances, ont voulu apporter leur solidarité à leurs coreligionnaires musulmanes des quartiers prolétaires, pour afficher en même temps la haine de saison vis à vis de la foi issue de Mahomet ! L’esprit courtisan mène à de tels paradoxes et ne se préoccupe guère d’être convaincant quand il s’agit de brandir la hache. Qu’on déclare qu’une religion constitue une menace pour l’école et la société, ceci me fait trembler. Pensons à ce qui s’est passé il y a cinquante ans alors qu’une autre intolérance, qui se proposait aussi d’unifier les pays d’Europe, sévissait !

   Le communautarisme, ce modèle social, qui fait trembler le pouvoir et qu’on aime à prôner pour être classé parmi l’élite, est donc bien une règle à géométrie variable : ladite élite en redemande quand celui-ci lui procure de façon privilégiée le confort matériel, mais le condamne, comme intolérant et raciste, dès lors qu’il menace quelque peu ses prérogatives et ses ambitions égoïstes. J’ai toujours apprécié la « science sans conscience » d’une telle « élite ». 

 Je crois au rôle de l’école dans l’intégration et la formation des citoyens quelles que soient leurs origines ou leur couleur. Mon inquiétude vient du raisonnement des laïcistes et de leur conception de l’école et de la société. Si l’objectif de l’école, c’est la formation des citoyens et l’intégration ; pourquoi donc contraindre les enfants d’une communauté à quitter l’école publique pour intégrer des écoles confessionnelles, qui seraient un terrain favorable au développement du communautarisme ? Forcer des enfants, souvent de milieux défavorisés, à quitter l’école publique sous la contrainte de la loi, c’est renoncer à la mission d’instruction de l’école publique. Ce même raisonnement indique clairement que les écoles privées n’assument pas leur rôle d’éducation à la citoyenneté.  

 Il y a très peu de temps, un haut fonctionnaire de l’Education de Nationale parlait des Beurettes et  des Lycées Professionnels  poubelles. Aujourd’hui notre Ministre de l’Education Nationale parle d’interdire les voiles, les bandanas, les barbes… Bientôt les B…. ?

  

                                                                                                                                                                   André SEMAAN